Maladies mentales: Le quotidien des familles en charge des malades




Elles sont nombreuses, ces personnes qui au quotidien doivent vivre et s’occuper d’un proche souffrant de troubles mentaux.  
«Les problèmes de mon mari ont commencé il y a de cela deux mois. Je prépare, il prend les assiettes et part tout jeter avec la nourriture. Les premiers jours de rentrée scolaire, il a failli cogner une maîtresse avec la pierre. La police l’a arrêté et je suis allé payer 30.000 FCfa pour le récupérer. On est venu ici à l’hôpital Jamot avec lui le 30 septembre à 4 heures», explique Mme Bodo, déboussolé. Indifférence, perte de mémoire, incapacité de se laver et se nourrir, hostilité inhabituelle, destructions des biens d’autrui, recroquevillé sur elle-même, monologues incohérents. Tels sont là, quelques troubles psychiques donc souffrent les personnes affligées de maladies mentales. Des manifestations auxquels doivent faire face les familles et proches de ces malades qui souvent deviennent des victimes ou des bourreaux inconscients de leurs familles. «C’était grave à la maison. Le 15 août, il a failli couper son premier fils avec la machette. Il faisait beaucoup de dégât. On a dû cacher toutes les machettes de la maison. Tout ce qui est dangereux pour lui ou qui peut être dangereux pour nous, s’il nous attaque avec», ajoute-t-elle.
Une réalité difficile à accepter
Si pour une grande majorité, l’arrivée des troubles est incompréhensible, d’autres par contre accuse les églises. «Ce qu’on accuse, ce sont les églises que les gens ouvrent ici dehors. Ma sœur fait master 2 en histoire-géographie et après les cours, elle partait à l’église. C’était son habitude. Mais un jour, elle est rentrée à la maison, et à commencer à parler de serpents. On pensait que c’était une blague comme très souvent. Mais c’est quand dans la nuit, on constate qu’elle parle toujours de serpents, qu’on a commencé à s’inquiéter. Le lendemain, quand elle est sortie de la maison, on ne pouvait plus l’arrêter. Elle évitait tout le monde. C’est comme cela que les crises et troubles ont commencé», relate Eddy, petit frère de la malade interné à l’hôpital Jamot. Si pour d’autres, l’hôpital Jamot est la solution. Certains par contre n’arrivent pas à se séparer de leurs proches et les confier à des professionnels de la santé. «L’aîné de mes enfants souffre de trouble mentale depuis l’âge de 7ans. Il a 40 ans aujourd’hui, ne parle pas et mange juste de la viande ou le poisson. Il a des crises de violences mais parfois il devient lucide. Nous l’avions interné à l’hôpital Jamot mais il était plus violent là-bas qu’à la maison, et j’avais l’impression de l’abandonner. Je n’ai pas pu supporter et je suis rentré avec lui à la maison», confie une mère de famille.
D’après certains, face aux réactions violentes de certains malades, il faut utiliser la violence. «J’ai déjà tant supporté heureusement que je suis une femme solide. S’il me fait quelques choses, je lui rends. Je lui dis: si tu es violent moi aussi, je suis de ta carrure», raconte Mme Bodo. Pour cette dernière, la violence de son conjoint l’a amené à demander aux forces de l’ordre de l’enfermer dans une cellule, «On m’a dit non au regard de son âge. Puisqu’il a 65 ans». Un trouble de comportement donc d’autres familles ne sont pas toujours prêtes à assumer. D’où l’abandon de ces derniers qui sont livrés à eux-mêmes dans les rues et hôpitaux de Yaoundé. «Ce père dit qu’il est déjà fatigué de s’occuper de son fils interné ici alors qu’il faut toujours un garde malade (un proche) auprès des patients. Quand on lui demande de faire venir sa femme, il affirme que même elle est fatiguée», discute des infirmières à l’hôpital Jamot.


Valentine Megni Fankep

«La maladie mentale est une maladie comme toute autre»

L’infirmière principale spécialisée en santé mentale développe les réalités auxquelles doivent faire face les malades mentaux.
Qu’est-ce qui sont à l’origine des maladies mentales ?
Si l’on ne connaît pas encore les causes réelles de chacune des maladies mentales, il existe toutefois des facteurs déclenchant. Il y a des facteurs psychologiques, socio-culturelle. Des évènements douloureux peuvent favoriser leurs apparitions. Comme exemple, il y a la perte de l’emploi ou d’un être cher, un accident ou une maladie grave, un choc violent sur la tête. Cela peut-être aussi dû à des maladies organiques tels que le diabète, l’hypertension et autres. Quelqu’un peut avoir subi un accident par voie publique ou avoir reçu un choc violent sur la tête. Tout cela peut amener à des troubles de comportes et à des maladies mentales.  Il y a également des facteurs héréditaires qui entrent en compte. La consommation de substance, joue un rôle important dans le développement des maladies mentales.
Pourquoi l’on note des violences chez certains malades et pas chez d’autres ?
Vous savez chaque individu répond de manière différente face à une situation. Il y a ceux qui ont un tempérament calme, tandis que d’autres sont violents. Mais ce n’est pas parce que la maladie se manifeste chez un individu, qu’il devient forcément violent. Lorsqu’on pose des questions à l’entourage, c’est à ce moment que l’on fait le lien avec les réactions des patients. L’agitation du patient intervient en fonction des circonstances.
Est-ce que l’abandon est recommandé face à la violence de certains ?
Non. La maladie mentale est une maladie comme toute autre. C’est l’entourage qui doit aider le patient à sortir de ce carcan. C’est pour cela qu’il faut sensibiliser la population par rapport aux maladies mentales, à l’impact de la stigmatisation sur le sujet malade. Ici à l’hôpital Jamot, l’on pose un diagnostic sur la base des données que nous recueillons auprès des accompagnateurs du malade, qui sont généralement des membres de la famille ou un proche. Si l’on a la chance que les parents de l’intéressé soient là, ou bien la personne chez qui il réside, on va amorcer le travail tant avec le patient que l’accompagnateur. C’est la famille ou les collègues, selon les causes du trouble, qui peuvent aider le patient à sortir de son état de troubles psychiques. C’est pour cela que nous faisons un traitement pluridimensionnel.
D’autres malades se retrouvent abandonner dans les rues. Pour certaines familles, c’est de l’ignorance. Ils ne savent pas qu’ils peuvent les sortir de la rue, les amener à l’hôpital où on lui prodiguera des soins jusqu’à ce qu’ils redeviennent des hommes normaux.
Quel est le conseil que vous pouvez donner pour aider les malades mentales ?
Il faut que les gens comprennent que le mot «folie» ne doit plus être utilisé, parce qu’il est péjoratif. Le terme malade mental est recommandé car ces personnes sont malades. Plusieurs personnes ont rechuté parce qu’on les appelait des fous. C’est cela qui enfonce beaucoup de personnes dans la maladie. Quand ces malades rentrent chez eux, l’on pense que parce qu’ils ont été malades ou internés à l’hôpital Jamot, ils n’ont plus droits au respect et à la considération. Tout au contraire, ce sont des gens hyper intelligents.
D’autres, la famille les stigmatise pour mettre la main sur leur fortune. Alors que c’est à ce moment que la personne malade doit être choyée, écoutée et acceptée comme il est. C’est pour cela que la réinsertion sociale est importante, au processus de guérison du patient. A l’extérieur, dès que l’on entend que quelqu’un était à l’hôpital Jamot, on pense à la folie. Les malades mentaux ne sont pas des problèmes pour la société. Il est facile de calmer le patient grâce à une prise en charge et un suivi, comme toutes les autres maladies. Il y a des mesures de contentions. On calme le sujet et tout revient à la normale et il peut vaquer à ses occupations.

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