L’artisanat minier au Cameroun : La ruée vers les tunnels de la mort

Quelques années après la découverte de l’or au Cameroun, ils sont plus d’une centaine d’artisans à trouver la mort dans les voies sinueuses des sous-sols de nombreux sites miniers de la région de de l’Est.

Etendu à même le sol, après avoir été sortie du tunnel dans lequel il a rendu l’âme suite à un éboulement, la quête de l’or pour Serge, ce jeune de 25 ans vient de s’achever. Après huit ans, passé à remuer, creuser et fouiller la terre à la quête du précieux trésor, l’un des nombreux sous-sols miniers de Njengou vient de faire sa énième victime. La boue épaisse qui recouvre le corps de la victime témoigne de la profondeur du tunnel d’où il a été extrait. Serge, ce jeune père de famille laisse derrière lui une veuve éplorée et deux enfants de cinq et deux ans.

Atour du cadavre, quelques rares personnes ont tristes mines face au constat, d’autres vaquent à leurs occupations comme si rien ne s’est produit, tandis que d’autres chercheurs d’or se ruent vers le tunnel qui vient de faire sa victime.

Pour Franky, l’un des chercheurs d’or, ces scènes ne devraient plus surprendre. ‘‘Il a eu la chance qu’on retrouve son corps. Ce site comme beaucoup d’autres ont déjà enterré plus d’un. Et ceux qui se ruent vers le tunnel qui vient d’engloutir un des nôtres, croient fermement que cette mort signifie que le tunnel regorge d’or.’’ Confit-il à la stupeur des novices.

Une situation déplorée par un employé de la Délégation Régionale du Ministère des Mines, de l’Industrie et du Développement Technologique (MINMIDT) de l’EST, qui explique que ces mentalités portent un frein à leurs combats pour pallier aux nombreux cas de décès.

Le contrôle sur le terrain : un véritable casse-tête

D’après cet employé de la Délégation Régionale du MINMIDT, face au cas d’accident l’Etat prend des dispositions avec ses services déconcentrés qui sont les délégations. Ces derniers font des surveillances administratives et techniques qui consistent non seulement à éduquer les populations sur les risques qu’ils prennent mais également leurs donner les différentes notions afin d’éviter les éboulements.

‘‘La difficulté avec les populations qui travaillent dans les sites miniers, est que selon ces derniers, les décès sont des sacrifices. Et c’est même là où il y a éboulement qu’ils vont commencer à creuser. Et cela devient une situation compliquée pour nous parce que les connaissances scientifiques qu’on va leurs donner, n’aura pas un véritable impact face à leurs croyances mystiques. Ainsi il devient difficile de gérer ce problème’’ révèle-t-il.

De ce fait, il est difficile d’évaluer le nombre de décès sur le terrain. Selon ce dernier, les services déconcentrés et centraux font des descentes sur le terrain avec des plaques pour faire l’identification des zones à risque, expliquer aux populations pourquoi ces zones sont à risque et pourquoi ils doivent arrêter de travailler dans ladite zone. Mais dès qu’ils tournent le dos, ces artisans reprennent leurs activités en faisant fi du danger, d’où les éboulements et pertes en vie humaine. ‘‘Face à cette réalité, on estime qu’il y a par jour au moins une personne qui meurt dans les éboulements. Par exemple à Batouri, il y a ce qu’on appelle l’arbre de sassayé. C’est quand les différentes sociétés minières escarpent et entassent quelques parts, et que suite à cela tout le monde descend sur ledit lieu pour essayer de ramasser ce qu’il peut. Dans ces cas, il peut arriver qu’il y ait éboulement et personne ne s’est rendu compte. C’est quand ils vont rentrer le soir, qu’ils vont se rendre compte que tel ou tel autre n’est pas là’’ remarque-t-il.    

Une idée partager par un ex-employé de l’ancien Cadre d’Appui à l’Artisanat Minier (CAPAM) qui souligne toutefois le manque d’une présence véritable des agents de l’Etat sur le terrain et de l’absence sur le terrain d’un effectif pléthorique de ces agents pour couvrir les nombreux sites miniers. ‘‘Avant le CAPAM s’assurait de l’encadrement des artisans. A l’époque nous étions sur le terrain avec un effectif adéquat partout où il y avait exploitation minière, nous étions sur place. Nous étions affectés sur ces sites et on résidait dans ces localités. Aujourd’hui oui les délégations descendent sur le terrain, mais après combien de temps le font-ils ? Pour faire un tunnel, il ne faut pas une semaine, pourtant les délégations peuvent faire trois ou quatre mois sans se rendre sur un chantier, c’est quand il y a problème qu’elles arrivent, ou lorsqu’elles veulent octroyer des espaces et c’est ça le bémol, avant cela le CAPAM affectait le personnel lorsque qu’un chantier naissait puisqu’il y avait ce qu’on appelle le suivi de l’artisanat, et la canalisation.’’

Selon ce dernier, le décret qui créait la Société Nationale des Mines (SONAMINES) a un peu freiné l’encadrement des artisans.

Qui a le droit d’exploiter le sous-sol minier au Cameroun ?


D’après le responsable du MINMIDT, pour avoir accès à un site minier il faut procéder par une démarche administrative qui passe par la demande d’octroie d’une autorisation d’exploitation artisanale parce qu’aujourd’hui le Cameroun ne dispose pas encore de décret d’application de l’exploitation de la petite et grande mine. Le décret actuel appliqué sur le terrain est celui qui donne les différentes dispositions pour la mine artisanale.

Les personnes érigées en société doivent posséder pour travailler, les autorisations signées par le Délégué régional. Cependant sur le terrain, les populations riveraines exploitent le sous-sol minier sans aucune autorisation. Ce qui génère parfois des conflits sur le terrain entre ceux qui ont des autorisations et ceux qui n’en n’ont pas. ‘‘Par exemple généralement lorsque le technicien chantier vient avec le géologue, il prend les cordonnés et part générer la carte sans toutefois avoir les connaissances ou tenir compte que le site sur lequel on lui a donné les coordonnées GPS est un site déjà occupé par les villageois qui sont déjà bien ancrés dans l’exploitation’’ explique un responsable de la Délégation Régionale du MINMIDT de l’Est.


S’agissant des conflits, Arthur, un exploitant sur le terrain évoque le problème de prospection. ‘‘Quand les sociétés viennent sur le terrain, ils découvrent sur un site un collectif de villageois qui s’y sont installés. Généralement lorsque ces sociétés notamment chinoises découvrent un site où il y a du monde cela veut dire qu’il y a quelques choses à en tirer. Comme ils connaissent les textes et ce qu’il faut faire pour avoir les papiers, ils s’en vont, payent les droits et les autorisations nécessaires, et avec les cahiers de charge qu’on les remet et les directives qu’ils reçoivent, ils viennent chasser les villageois. Cela s’est vu à Kana, dans la Kadéï, à Batouri et un peu partout où il y a l’exploitation’’ dévoile l’ex-employé du CAPAM.

Un véritable problème pour ces villageois qui sont pour la grande majorité des analphabètes et des illettrés. D’après ce dernier, les villageois sur le terrain ne savent même pas faire la carte artisanale parce qu’il faut filmer le site, aller au niveau de la délégation départementale pour finalisation. Il faut se constituer en Groupe d’Initiative Commune (GIC), pour eux c’est trop de procédure et ce sont pour la grande majorité des villageois qui ne sont pas allés à l’école et ne savent pas parler le français, et encore moins l’anglais.

Un secteur à l’avenir prometteur

Malgré tout cela, le Cameroun dispose toujours d’important gisement de minerais sous exploité. Un véritable potentiel pour le Cameroun et une aubaine pour les investisseurs ‘‘Le décret qui créait la SONAMINE était une bonne idée maintenant il faut que l’encadrement sur le terrain suive, l’encadrement de l’artisanat : les collecteurs, ceux qui creuse. Pour le moment tous ceux qui font dans l’exploitation artisanale sont abandonné à eux-mêmes et cela est un frein pour l’essor de cette activité qui se chiffre en milliards de francs CFA’’ conclut l’ex-employé du CAPAM.


Selon le rapport final provisoire de septembre 2021 de l’Alliance pour une Mine Responsable, l’exploitation artisanale de l’or (orpaillage) est pratiquée sur environ 1 807 chantiers (compris comme des ouvrages d’extraction à ciel ouvert) à l’Est, en Adamaoua, au Nord et de façon plus réduite au Sud. Elle emploie environ 27 000 orpailleurs et bénéficie directement à 120 000 personnes. Sa production est estimée à 1,85 tonne d’or par an dont seulement 1,7 % est commercialisé dans la filière formelle. L’exploitation semi-mécanisée de l’or, pratiquée par 47 sociétés minières étrangères en décembre 2020, se concentre dans la Région Est, et produit environ 5,78 tonnes d’or par an dont seulement 7 % suit une filière déclarée par le prélèvement de l’impôt synthétique libératoire (ISL).  

 De ce fait l’organisation révèle que l’impact macroéconomique de la production d’or est faible (0,3 % du PIB 2019) pourtant elle alimente un circuit économique national significatif: 95 % de la valeur créée, soit 68 milliards de FCFA annuels, demeure au Cameroun. Aussi ‘‘la formalisation des filières permettrait d’augmenter ces effets multiplicateurs en permettant notamment de stimuler les investissements productifs visibles et de long terme’’, conseille l’Alliance pour une Mine Responsable.                             

Patricia Nya Njaounga

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